Des scientifiques franco-argentins ont été reconnus pour avoir crée le « Templex », une nouvelle approche de la théorie du chaos
Afin d’apporter une nouvelle vision et des outils pour comprendre le problème scientifique connu sous le nom de théorie du chaos, deux chercheuses argentines travaillant à l’Institut Franco-Argentin d’Études sur le Climat et ses Impacts (UBA –
CONICET – CNRS – IRD), en collaboration avec Christophe Letellier, professeur à l’Université de Rouen, ont inventé l’objet mathématique qu’ils ont baptisé « templex ». À cause de cette découverte, ils ont fait la une des journaux il y a quelques jours Journal du chaos, qui a décidé de mettre en avant la publication faisant partie du projet NOISE
(LEFE/MANU) de l’INSU (CNRS) et le projet CYAN (21-CLIMAT-05) du programme CLIMAT-Amsud. Lancé en 2019, ce programme régional est une initiative de la coopération française et de ses partenaires en Amérique du Sud.
À travers la branche des mathématiques appelée topologie, qui, selon l’un de ses créateurs, Henri Poincaré, « est une géométrie purement qualitative, dont les théorèmes seraient vrais si les figures, au lieu d’être exactes, étaient grossièrement imitées par un enfant », Denisse Sciamarella , Ph.D. en physique de l’Université de Buenos Aires et HDR de l’Université de Paris-Saclay, a trouvé – avec ses collaborateurs et après de nombreuses années d’études – un moyen d’« ordonner » le chaos. « La topologie agit comme un détecteur de cet ordre qui se cache derrière le désordre, puisque les processus chaotiques déterministes sont caractérisés par une sorte d’empreinte qui est précisément donnée par leur topologie », a-t-elle expliqué.
En collaboration avec Gisela Charó, mathématicienne diplômée (UBA), docteur en ingénierie (UBA) et postdoc CONICET, ils ont commencé à étudier comment cette « empreinte digitale » pourrait aider à mieux comprendre les processus non linéaires et donc difficiles à prédire. « Les fluides constituent un exemple clair de mécanismes non linéaires en action.
Comprendre comment ils s’organisent et prévoir ce qui se passe lorsque, par exemple, lors d’un déversement pétrolier en mer est complexe. Ces processus sont pertinents à la fois en océanographie mais aussi dans l’injection d’un soluté qui transporte un médicament dans la circulation sanguine, ou dans les cendres d’une éruption volcanique dans l’atmosphère », a souligné Sciamarella.
De gauche à droite : Denisse Sciamarella et Gisela Charó à la porte de la Faculté de
Sciences Exactes. Droits d’auteur : Guadalupe Lombardo.
« Nous abordons ce problème à travers la topologie algébrique, contrairement à d’autres groupes de recherche qui utilisent des approches géométriques ou statistiques. C’est ainsi que nous avons créé le « Templex », un objet mathématique qui nous permet de calculer l’empreinte topologique susmentionnée sans contraintes dimensionnelles : le gabarit ou « template », son prédécesseur, nous permet de trouver l’ordre dans le chaos en utilisant la théorie des noeuds. Mais, puisque les noeuds se défont en plus de trois dimensions, ce schéma n’était applicable qu’aux problèmes qui n’avaient pas plus de trois degrés de liberté. Cette difficulté s’appelle la « malédiction de la dimensionnalité », a ajouté la chercheuse. En combinant le « complexe » de la topologie algébrique avec la théorie des graphes, le « templex » brise la malédiction mathématique : « Le trouver pour un ensemble de données revient à trouver son empreinte dynamique. De cette manière, les différents types de comportement chaotique peuvent être identifiés et même classés. Et cette classification nous permet de comparer les ensembles de données les uns aux autres, les modèles les uns aux autres, et nous permet également de comparer les modèles et les données », a précisé Sciamarella.
A quoi sert tout ça ?
« Si deux jeux de données ont la même empreinte topologique, alors cela signifie qu’ils répondent tous les deux aux mêmes lois d’évolution et qu’ils peuvent être modélisés avec les mêmes équations », souligne la chercheuse. Les progrès peuvent ensuite être appliqués de manière transversale et dans des domaines d’étude variés : « Dans le domaine des sciences du climat, par exemple, il existe plus de 20 modèles climatiques qui sont utilisés pour réaliser des simulations climatiques et des projections climatiques futures. Bien qu’ils aient tous une formulation basée sur des équations fluides, ils diffèrent sur plusieurs aspects : modélisation des aérosols, dynamique des calottes glaciaires et autres processus. On parle même d’une Babel de modèles. Comment savoir à quel modèle s’en tenir ? Dans quelle mesure peut-on dire qu’un modèle représente bien les observations ? Le « templex » peut apporter la solution en comparant les résultats des différents modèles avec les données d’observation », a confirmé Sciamarella, qui est également directrice adjointe d’IFAECI (www.ifaeci.cnrs.fr / ifaeci.cima.fcen.uba.ar).
Interrogés sur la valeur de l’interdisciplinarité, les chercheurs – qui ont déjà appliqué cette approche aux processus de mélange chaotique dans les domaines de l’ingénierieet travaillent maintenant sur des problèmes de météorologie océanique, atmosphérique et spatiale – ont répondu: « L’avancement des connaissances se fait toujours grâce à l’acquisition de nouvelles perspectives, et cette nouveauté survient plus souvent lorsque l’on mélange des ressources hétérogènes et lorsqu’on est confronté au défi de comprendre comment une communauté particulière à laquelle nous n’appartenons pas pense avec son jargon et ses dialectes. »
En même temps, la coopération avec d’autres pays est vue comme « une autre possibilité de favoriser le mélange de ces ressources hétérogènes, un travail dans la diversité des traditions, sans lequel de nombreuses pistes resteraient inexplorées dans bien des cas. »