Au regard des données actuelles, l’Amérique est le dernier continent à avoir été peuplé par l’homme au cours de la préhistoire entre 25.000 et 30.000 ans avant le présent (BP). La datation de ce premier peuplement ainsi que ses modalités sont au cœur de grandes discussions. Les principaux indices nous permettant de reconstituer le passage des groupes humains, et ayant perdurés au long du temps, sont les outils lithiques qu’ils ont produits et les déchets de leur confection.
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Poli et stries d’utilisation observées sur le bord d’un outil – x100 (Photo : Amélie da Costa)

En tant que lithicienne, ces outils et déchets en pierre composent ma principale source de données. À partir de la caractérisation de la manière dont les tailleurs de pierre préhistoriques géraient leurs matières premières, produisaient les supports, confectionnaient certains types d’outils et la façon dont ils les utilisaient, il est possible, dans une certaine mesure, de reconnaître des groupes humains spécifiques qui partagent les mêmes traditions techniques. Le protocole méthodologique que j’emploie implique différentes échelles d’analyse : macroscopique avec la caractérisation des méthodes de taille de la pierre et production des supports et l’identification des différents types d’outils ; puis microscopique, avec l’observation des traces d’utilisation conservées sur les outils. Ces traces sont dues au frottement et usure combinés de l’outil en pierre contre un matériau travaillé (bois, végétal tendre, tubercule, viande, peau fraîche ou sèche, os, corne, coquillage, minéral, etc.). Le sens du mouvement ainsi que le type de matériau travaillé sont identifiables aux traces spécifiques (micro-ébréchures, stries, polis et émoussés) qu’ils laissent sur l’outil. L’ensemble de ces données nous offre en synthèse une vision du panel d’activités réalisées par les populations chasseurs-cueilleurs à un endroit donné, et plus largement de la manière dont le territoire était occupé : par exemple, avec des sites réservés à des activités spécifiques associés à des sites d’habitat.

Ces dynamiques d’occupations de l’espace et les changements techniques survenus au cours du temps peuvent ainsi perceptibles à travers les données fournies par les vestiges lithiques.

J’ai tout récemment eu l’opportunité d’effectuer un séjour d’un mois en Uruguay, dans le cadre d’un projet Ecos-Sud Uruguay. Ce projet de recherche, financé pour 3 ans, est coordonné par Antoine Lourdeau (MNHN, France) et Rafael Suarez (Universidad de la Republica, Uruguay).
Il a pour objectif de faire le lien entre les recherches archéologiques menées dans la haute vallée et dans la moyenne vallée du fleuve Uruguay.

Vue du fleuve Uruguay depuis Foz de Chapeco (Photo: Amélie da Costa)

Ce grand fleuve, frontière naturelle entre le Brésil et l’Uruguay, a longtemps constitué une limite scientifique en archéologie : des traditions de recherche différentes et indépendantes se développant dans chacun des deux pays, isolant les données de part et d’autre du fleuve. Par le biais de ce projet, les bases d’une recherche plus intégratives sont posées avec pour but, appréhender les premiers peuplements de cette macro-région, géographiquement cohérente. Les fleuves ont souvent constitué, durant la préhistoire, un fil d’Ariane pour les migrations vers des terres inconnues.

“ Ces dynamiques d’occupation de l’espace […] peuvent être perceptibles à travers les données fournies par les vestiges lithiques. ”

À l’échelle du continent sud-américain, cette zone a pu constituer un lieu de passage clé, à l’est du massif andin, pour les groupes humains ayant peuplé le Cône sud de l’Amérique, suivant le cours du fleuve Uruguay. Dans le cadre de ce projet, ma première mission en Uruguay comprenait deux volets : l’un en laboratoire, l’autre sur le terrain. À l’université de la Republica à Montevideo, j’ai pu observer, conjointement avec Rafael Suarez, l’ensemble du matériel lithique provenant de ses fouilles et procéder à un échantillonnage d’artefacts pour évaluer leur degré de conservation des traces d’utilisation. Leur potentiel s’est avéré positif à une étude microscopique systématique qui sera menée lors des prochaines missions.

En déplacement sur le terrain d’étude, avec l’équipe du projet Ecos-Sud, nous avons réalisé de nouvelles prospections dans la région afin de cartographier de nouveaux sites ou occupations, de surface en plein air ou bien en abri sous roche. Cette reconnaissance de la zone nous a ainsi permis de connaitre les sites archéologiques déjà fouillés, intégrés au projet.

Le projet débutant, peu de résultats sont diffusables en l’état, malgré tout, la qualité et quantité de données disponibles ne laissent pas l’ombre d’un doute : à travers l’épaisseur du temps et des couches stratigraphiques, nous apercevons déjà les contours des premiers habitants de la vallée du fleuve Uruguay.

Prospections réalisées en Uruguay lors de la première mission (Photo : Amélie da Costa)

 Contact: amel.dacosta@gmail.com

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